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Casa de Papel: la série qui passionne le rap français [DOSSIER]

le 5 mars 2018

Casa de Papel: la série qui passionne le rap français [DOSSIER]

Gomorra et Suburra en Italie, Peaky Blinders et Gunpowder au Royaume-Uni, Dark en Allemagne : la nouvelle vague des séries européennes offre (enfin) au public une alternative crédible face à l’omnipotence américaine.

Ambitieuses et inventives, ces oeuvres ont le grand mérite de mettre en exergue les spécificités locales du vieux continent, ou de revisiter certaines de ses périodes historiques. Les villes de Naples et Rome sont des personnages à part entière dans Gomorra et Suburra, tandis que l’histoire britannique est revue par le prisme de la famille Shelby ou de la conspiration des poudres. En clair : plutôt qu’essayer de concurrencer les amerloques sur leur terrain (super-héros, morts-vivants et dragons), l’Europe mise sur ses meilleurs atouts, à savoir sa grande diversité d’une part et sa longue et riche histoire de l’autre.

Pas en reste, l’Espagne a livré la dernière sensation en date de cette nouvelle dynamique européenne, Casa de Papel. Derrière un synopsis d’apparence très simpliste (le braquage du siècle, une équipe d’experts où chacun a sa spécialité, et beaucoup trop d’otages), cette série originellement diffusée par Antena 3, puis récupérée par Netflix, déconstruit certains codes du genre et approfondit un certain nombre de thématiques annexes : violences conjugales, avortement, adultère, responsabilité parentale et filiation père-fils, imprudence adolescente face aux réseaux sociaux…

Les codes du film de braquage

Le principal contre-pied réalisé par Casa de Papel tient dans la nature-même du braquage : dans l’imaginaire collectif, et particulièrement dans le monde du cinéma et de la télévision, un braquage doit nécessairement aller très vite. Souvenez-vous de Heat, de Braquage à l’Anglaise, de The Score : le plan est toujours longuement préparé en amont, afin que le temps passé dans la banque soit aussi bref que possible. Ici, c’est tout le contraire : nos braqueurs font tout pour rester un maximum de temps sur place (une tactique qui n’aurait aucun sens en temps normal, mais qui prend tout son sens ici). Ok le genre n’est pas révolutionné, mais on sort un minimum du moule classique, qui aurait rapidement tourné en rond sur une dizaine d’épisodes.

Au delà de ce principe de fonctionnement sous forme d’antithèse du film de braquage classique, Casa de Papel reprend bien un certain nombre de codes et de références aux grands classiques du genre : une équipe dans laquelle chacun a son propre domaine d’expertise (le spécialiste des alarmes et systèmes de surveillance, le spécialiste des explosifs, celui du maniement des armes) à la Ocean’s 11 ; des masques très distinctifs à l’effigie de Salvador Dali, renvoyant aux masques portés dans Point Break (les Présidents), Heat (masque de Hockey) ou The Dark Knight (les clowns) ; des personnages dont les pseudonymes renvoient à des noms de grandes villes (Rio, Helsinki, Nairobi), renvoyant à Reservoir Dogs et aux sobriquets basés sur les couleurs (Mr Pink, Mr White, etc) ; des otages contraints de revêtir la même combinaison que les braqueurs, comme dans Inside Man…

Selon le point de vue, on peut voir tous ces détails comme des hommages bien sentis à des films marquants, ou comme un pompage éhonté, le plus simple étant de couper la poire en deux en concluant que Casa de Papel est un bon medley des meilleures techniques de braquage vues au cinéma ces vingt dernières années.

Le Professeur

L’autre grande figure classique du film de braquos, c’est le fameux cerveau, ce personnage qui imagine toute l’opération en amont, chronomètre chacune des phases du vol, élabore les plans, anticipe les mouvements de la police, et prépare la fuite. On n’échappe pas à la règle dans la série espagnole : le Professeur, tel qu’il est nommé dans la série, évolue même un cran au-dessus de la plupart de ses prédécesseurs au cinéma, puisqu’il devient quasiment une figure omnisciente contrôlant chacun des gestes de son équipe, mais aussi des enquêteurs ; sachant qu’il dirige le braquage à distance.

Comme un joueur d’échecs, il fait toujours en sorte d’avoir un coup d’avance sur ses adversaires, plaçant ses équipiers comme des pions, et n’hésitant pas se mouiller pour conserver ses positions. En ce sens, le Professeur, est proche d’une personnalité comme Light Yagami dans Death Note : moins froid mais tout aussi calculateur, toute l’éventualité de sa réussite réside dans sa capacité à contrôler les faits et gestes de ses alliés et de prévoir ceux de ses adversaires.

Ce braquage du siècle, dont le butin espéré atteint des chiffres impensables dans la réalité, et jamais vus au cinéma, représente l’oeuvre d’une vie pour le Professeur. Pensé depuis toujours, préparé en amont à temps plein depuis des mois, l’instigateur de ce plan de grande envergure n’a pas laissé le moindre détail au hasard, préparant ses troupes à tout type de complication. La police tente de s’infiltrer en se déguisant en otages ? Un plan existe. La négociatrice exige de libérer certains captifs ? La réponse est déjà prête. Le visage d’un braqueur est découvert par les enquêteurs ? Un membre de l’équipe est tenté par l’idée de collaborer avec les forces de l’ordre en échange d’une peine réduite ? Un otage est blessé par balle ? Pas de problème, tout était prévu.

Une tension importante

Cette nécessité absolue de faire de contrôler chaque détail sous peine de voir le plan échouer permet à Casa de Papel de maintenir une tension importante tout au long de la série, selon un schéma aux ficelles grossières mais finalement très efficaces : à chaque fin d’épisode son gros imprévu, et donc son gros suspense – et donc, le besoin pour le spectateur d’enchaîner sur l’épisode suivant, pour ne pas aller se coucher avec l’idée que le destin de son personnage préféré est appendu à un fil.

La recette a déjà fait ses preuves dans bon nombre de feuilletons, de Lost aux dernières saisons de Breaking Bad, en passant par 24. Pour résumer grossièrement la situation, Casa de Papel combine le rythme de la première saison de Prison Break avec la tension omniprésente de Death Note c’est clairement moins niais que le premier, mais c’est aussi clairement moins bien écrit que le second, à vous de voir le verre à moitié plein ou à moitié vide.

On n’échappe pas également à un brin de manichéisme, avec le méchant Berlin, le gentil mais bébête Denver, et la keuf prise entre ses principes et son intégrité d’un côté, et l’urgence de libérer les otages (quitte à devoir faire quelques écarts) de l’autre. On peut tout de même se rassurer en constatant que le temps de présence à l’écran des différents protagonistes est très bien équilibré, à tel point qu’on ne saurait pas vraiment dire qui est le véritable personnage principal de la série : Tokio, parce qu’elle est la voix off ? Le Professeur, parce qu’il manigance tout ? Berlin, parce qu’il est le chef de l’équipe de braqueurs ? Raquel, parce qu’elle est la seule dont la vie privée prend de l’importance ?

Les reprises du rap français

Comme tout série hypée, Casa de Papel a très rapidement été récupérée par le rap français, toujours avide de nouvelles références à placer dans ses textes et d’une nouvelle esthétique à recycler dans ses clips. Après le succès de Gomorra en 2015/2016, dont le décor principal a servi pour le tournage de clips de PNL, Sch et Sadek, puis de Narcos en 2016/2017, qui a clairement fait fantasmer tous les rappeurs à l’univers un peu street, voici donc arrivée l’heure de la branlette sur Casa de Papel. Techniquement, pourquoi pas, ça change des références faites et refaites à The Wire, mais ça démontre surtout le manque flagrant de diversité des influences dans le rap français, qui se ressent déjà énormément sur le plan des prods et des flows, et qui vient désormais se nicher jusque dans les historiques de visionnage Netflix des artistes.

Tête de rang des rappeurs fans de Casa de Papel, Gradur a ainsi signé son grand retour dans le game avec un clip reprenant complètement le synopsis de la série (avec la présence de Sofiane) : combinaisons oranges, masques de Salvador Dali, négociatrice au téléphone, otage blonde et bouclée blessée à la cuisse (on n’a vraiment laissé aucun détail au hasard) et cours de braquage en salle de classe avec un ersatz de Professeur.

Mêmes combinaisons oranges et mêmes masques de Dali pour SKG, qui ne s’est clairement pas fait chier en appelant directement son dernier titre Casa de Papel. Pour le coup, les références vont donc beaucoup plus loin que le clip, puisque le morceau fourmille de phases pas franchement subtiles en lien avec la série : « Trop ingénieux comme le Professeur », « T’es pédé comme Helsinki » ou encore « Qu’est-ce qu’elle est bonne cette Raquela ».

Tout aussi récemment, la Mafia Spartiate a repris la thématique du braquage avec masques et combinaison dans le clip de Virus 2, et même si les couleurs et les faciès sont différents, le lien avec la série Espagnole est évident. On peut également citer Take a Mic dans Strict Minimum 4, mais aussi et surtout Maes, auteur de l’un des meilleurs projets de ce premier trimestre 2018 avec Réelle Vie 2.0, dont le visuel présent sur la cover est ostensiblement inspiré par Casa de Papel. Visiblement bousillé à l’univers de la série, il s’est même fendu d’un freestyle « Booska Professeur » en janvier, référence directe, si vous avez suivi, à l’instigateur du braquage.

Avec l’annonce de la sortie prochaine de la saison 2, le 6 avril prochain sur Netflix, la hype autour de la série bat son plein ; sachant qu’elle a déjà diffusée en Espagne et qu’elle est donc disponible en France sur les sites de téléchargement illégal. A priori, tout est réuni pour que l’auditeur de rap français bouffe des références à Casa de Papel toute l’année, qu’il le veuille ou non. La meilleure méthode reste donc de s’enquiller l’intégralité des épisodes, d’une part parce que, sans arriver au panthéon des séries, Casa de Papel reste une série bien ficelée et pas désagréable à regarder, d’autre part parce qu’un rappeur finira forcément par vous spoiler un moment crucial de l’intrigue ; et enfin parce qu’il n’y a rien de pire que d’écouter un morceau bourré de références que l’on ne comprend pas.

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