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10 « unpopular opinions » sur le rap américain

le 9 octobre 2020

10 « unpopular opinions » sur le rap américain

Attention, ça va troller….

À la base, les « unpopular opinions » (une expression née circa 2018 de la conjonction de différents mèmes et vidéos Youtube) sont des points de vue qui tranchent radicalement avec ceux de la majorité au point de créer la controverse.

Reste que très vite ces derniers se sont transformés en attrape-clics tout ce qu’il y a de plus bêtes et méchants en jouant de leur côté faussement irrévérencieux sur des sujets tout sauf polémique – genre « J’aime les choux de Bruxelles » ou « Je n’ai jamais vu un Star Wars ».

Pour ce qui nous concerne, à savoir la dizaine de paragraphes qui suivent, ils sont un moyen de s’amuser à déboulonner quelques dogmes dans un rap jeu médiatique souvent trop policé.

Évidemment la mauvaise foi est au menu (et pas qu’un peu), quand bien même un petit fond de vérité peut çà et là se faire entendre.

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Quand les rappeurs racontent leurs vies dans leurs textes

Jay Z n’est pas si bon parolier que ça

Bien avant Drake ou Kanye West qui ont fait du « moi je » la clef de voûte de leurs textes, Shawn Carter a été le premier rappeur dont il faut être fan de la personne pour apprécier pleinement la musique, lui qui dès le départ ne s’intéressent qu’aux deux mêmes thèmes : son succès et la mise en scène de son succès – cf. sa trilogie Life.

Si au motif de jouer de la similitude avec son public en lui proposant de vivre sa vie par procuration cela pouvait encore passer, l’embourgeoisement aidant, l’ami Jay- Jay a ensuite mué en caricature du parvenu devenu notable.

Name dropping de marques connues des seuls super riches (Watch The Throne), collection d’art et vacances à Cuba (Magna Carta Holy Grail), infidélités avec Beyoncé et séances de psychanalyse (4:44)… non seulement il est désormais très compliqué pour l’auditeur moyen (alias celui qui ne possède pas de résidence secondaire dans les Hamptons) de s’y connecter sur la forme, mais sur le fond, rien de ce qu’il dit n’a pas été répété cent fois auparavant.

Ça, et puis aussi le fait qu’à force de nous bassiner toutes les deux rimes avec sa « grandeur » supposée, il y a de quoi regretter que Nas ne lui ait pas mis la pâtée au début du siècle.

« 2001 » de Dr. Dre n’est pas un classique

Certes il ne vient à personne l’idée de contester que ce second « solo » du bon docteur Young a initié la domination sans partage de l’ogre Interscope sur le tout le rap mainstream de la première partie des années 2000 (Aftermath, Shady Record, G-Unit…).

Ce qui est plus contestable en revanche c’est de faire comme si cet album était parfait de A à Z alors qu’il ne l’est pas. Loin de là.

Déjà parce que sur 23 pistes proposées il faut se farcir pas moins de sept interludes, comme si au motif qu’un compact disc peut inclure jusqu’à 80 minutes de musique il fallait impérativement remplir la casserole à ras bord.

Après parce que Dre a beau avoir à sa disposition parmi les meilleurs emcees de leur génération au meilleur de leurs formes (Eminem ! Snoop Dogg ! Xzibit ! Kurupt !), il décide de faire la part belle à des types dont personne n’avait jamais entendu parler avant, et dont personne n’a jamais entendu parler depuis – Ms. Roq, Six2 et bien sûr l’inénarrable Hittman qui à lui seul totalise NEUF APPARITIONS (!!!).

Enfin parce que passés les inoubliables Still D.R.E., Forgot About Dre et autre The Next Episode, la seconde moitié du disque est clairement des plus poussives en comparaison.

Pas de quoi mériter un 10/10 donc.

Les documentaires sur le rap ne servent à rien

Can’t Stop, Won’t Stop en 2017 qui revient sur l’histoire de Bad Boy Records, The Defiant Ones en 2018 qui met en parallèle les destins croisés de Dr. Dre et Jimmy Iovine, Look Mom I Can Fly en 2019 qui tire le portrait de Travis Scott… sur le papier, voilà des affiches qui mettent l’eau à la bouche.

Devant son écran c’est une autre limonade. Bien produits, bien filmés, bien sourcés, ces documentaires laissent néanmoins à chaque fois ce même arrière-goût d’inachevé.

La raison ? Ils tiennent en réalité plus du publi-reportage que du reportage d’investigation.

Très impliqués dans le processus de création, les rappeurs (et leurs communicants) se servent en effet de tels médiums pour refourguer toujours un peu plus leur storytelling en omettant à dessein la moindre zone d’ombre ou polémique.

Vous vouliez en savoir plus sur la personnalité sujette à controverse de Puff Daddy ? Sur l’arnaque marketing qui a permis à Beats d’être revendu pour 3,2 milliards de dollars ? Sur l’impact commercial de se mettre en ménage avec une star des réseaux ?

Désolé, vous vous êtes trompés d’adresse : l’idée est ici de divertir pas de faire réfléchir.

Et tant pis si certains appellent ça abrutir.

Qui écoute Gucci Mane ?

Dans la course au meilleur rappeur, il est un critère qui revient régulièrement et face auquel on peut légitimement se montrer dubitatif : celui de la productivité.

Bon attention, personne ne dit que de poser un freestyle sur le petit doigt ou sortir des camions de mixtapes en moins de temps qu’il en faut pour les télécharger ne tient pas de la performance, mais peut-être est-on en droit de privilégier l’argument de la qualité à celui de la qualité ?

Prenez Guwop par exemple. Entre ses albums à lui, ses albums avec d’autres, ses EP et ses mixtapes, à 40 piges à peine sa discographie comptabilise plus d’une centaine de projets.

Impossible donc de tout écouter là où même Wikipédia commence à bégayer, et a fortiori encore plus impossible de tout écouter avec l’attention nécessaire pour être en mesure de formuler un avis pertinent.

En même temps peut-être n’est ce pas plus mal de rester dans le flou quand bon nombre de morceaux se contentent d’intervertir couplets et instrus sur des beats recyclés ?

Sans Ja Rule, pas de 50 Cent

Au sommet de sa gloire, Curtis Jackson cultivait au-delà du raisonnable deux obsessions : vendre le plus de disques possible et rabaisser plus bas que terre Jeffrey Atkins Jr.

Ce dernier lui aurait alors bien rendu la monnaie de sa pièce, à ceci près qu’après avoir été le rappeur le plus chaud de la bande FM (Between Me and You avec Christina Milian, Put It on Me featuring Vita et Lil’ Mo, Always on Time en duo avec Ashanti, etc.), il s’est purement et simplement fait piquer sa formule gagnante par son meilleur ennemi.

Adepte du rap de rue pur et dur à ses débuts (cf. son album « jamais sorti » Power of the Dollar), Fiddy a beau dans un premier temps critiqué vertement le mélange des genres pop opéré par le Murder Inc, en renard des charts il comprend ensuite très rapidement tout l’intérêt qui est le sien de mettre du rnb dans son vin, que ce soit en chantonnant ses refrains ou en conviant crooneurs et crooneuses sur ses singles (Nate Dogg sur 21 Questions, Olivia sur Candy Shop, Joe sur Wanna Get To Know You…).

Et c’est comme ça que Ja-Ja, qui il y a encore peu se vantait d’être « le premier artiste hip hop à écrire une chanson r&b/pop numéro 1 dans le pays », s’est retrouvé en deux coups de cuillère à pot complètement à poil.

Pas reconnaissant pour un sou, près de deux décennies après les faits 50 continue de le troller tant qu’il le peut.

Où est passé Black Thought dans les classements des meilleurs rappeurs ?

Biggie ou 2Pac ? Jay Z ou Nas ? Rakim ? Eminem ? Kendrick Lamar ?

Quand vient le toujours très vif débat sur le Greatest Of All Time, son nom est quasi-systématiquement omis des dix premières places, quand il n’est pas outrageusement passé sous silence.

L’injustice est de taille car depuis Organix en 1993, le cofondateur des Roots (alias haut la main le plus grand groupe du rap US) n’a jamais déçu en douze albums. Longévité, authenticité, technicité, versatilité… bien que médiatiquement des plus discrets, le mec excelle sur tous les tableaux.

À sa décharge, s’il lui manque certainement quelques vrais hits (au sens commercial du terme), ainsi qu’un solo en bonne et due forme pour prétendre à la médaille d’or, il n’empêche que ce silence radio en dit beaucoup sur le manque de culture rap des auteurs de ce genre de classement.

Voici d’ailleurs ce que dit de lui le producteur 9th Wonder (autre outsider du game soit dit en passant), et qui résume plutôt bien la situation : « Thought c’est le rappeur préféré de ton rappeur préféré. Personne n’aime en parler ouvertement, mais quand il se pointe dans une pièce, l’atmosphère change du tout au tout. Les gens savent. Ils savent que s’ils posent à côté de lui, ils vont se faire manger. »

Travis Scott s’habille comme un sac

Capable de refourguer à des prix ahurissants au resale des paires de Air Jordan 1 sur lesquelles il s’est contenté de faire inverser le swoosh ou de chiper la première place des charts à Nicki Minaj en couplant la vente de son album Astroworld à la vente de merch, le pouvoir de prescription de Cactus Jack/La Flame/Jacques Webster n’est plus à démontrer.

Sauf que bon, d’influenceur à mec stylé il y a un fossé.

Un peu comme sa musique qui s’inspire de toutes les tendances, le vestiaire de Scott picore à toutes les modes (du Balenciaga, du Supreme, du Yeezy…). En soi ce n’est pas une mauvaise chose, mais là où sur disque il parvient à dégager une personnalité qui lui est propre, ses ootd le font ressembler à ces hypebeasts sans imagination (pléonasme) qui achètent des pièces qu’ils pensent cools parce qu’elles leur sont vendues comme telles.

Jeans baggys difformes, joaillerie de carnaval, manches de vestes trop longues, Dunk dégueulasses… son feed Instagram respire l’ennui et les fashion faux pas.

Et inutile de venir la ramener en pointant qu’il a été engagé comme égérie Yves Saint Laurent : se faire photographier dans des costumes noirs tristounets c’est à la portée du premier vigile venu.

Mais à quoi peuvent bien servir les Grammy ?

Chaque début d’année c’est la même rengaine : des articles de presse qui se suivent et se ressemblent sur cette cérémonie de remise de prix dont même Kanye West a fini par comprendre qu’elle ne servait à rien.

Summum de l’entre soi du petit milieu de l’entertainment, elle récompense à la chaîne quiconque un brin photogénique pour peu qu’il soit signé en maison de disques.

Plus truqués que la Coupe du monde, les Grammy Awards tiennent en effet du jeu diplomatique entre majors qui toutes arrosent du mieux qu’elles peuvent les jurés afin de permettre à leurs artistes de se fendre sur scène de discours de remerciements maladroits suivi de playbacks tout aussi pétés.

Et histoire de ne pas fâcher personne (et accessoirement de faire gonfler les records de nominations), tandis que la première édition il y a soixante et quelques années comportait 28 catégories, aujourd’hui 82 sont à l’honneur !

Conséquence, en plus de rendre la cérémonie encore plus longue et encore plus chiante, des trophées des plus abscons sont délivrés comme « l’urbain contemporain » qui vient s’intercaler entre le rap et le r&b.

Bref, ça donnerait presque envie de se farcir les Victoires de la musique à la place.

2Pac racontait quand même un peu n’importe quoi

Non, avoir sa tête sur des t-shirts et des posters ne suffit pas à élever son discours politique au rang de celui d’un Malcom X – ni même à celui d’un Muhammad Ali.

« Révolutionnaire sans révolution à mener » pour reprendre les mots de sa bonne amie Jada Pinkett, l’auteur d’All Eyez On Me avait beau être des plus charismatiques et sûrement des plus sincères, le fond de sa pensée n’était quand même ni très clair ni très profond.

Pas à une contradiction près, il se revendiquait ainsi « pro black » tout en incitant à la « thug life » (i.e. au deal de drogue) ou en se faisant l’ambassadeur rémunéré de St. Ides, une marque de bière hautement concentrée en alcool surnommée « le poison des ghettos » et de surcroît condamnée par la justice pour avoir ciblé les mineurs dans ses publicités.

Il promouvait « l’amour pour ses sœurs » en interview, mais les traitait à tout de bras de « biatches » dans ses textes, quand il n’était pas accusé d’agression sexuelle.

Il se la jouait anticapitaliste, mais chaînes en or autour du cou prônait la loi du plus fort avec Death Row.

Ça et puis aussi quelques tartuferies de derrière les fagots, comme prétendre avoir refusé un rôle dans Menace II Society au prétexte de ne pas vouloir « salir les musulmans » alors que ce qu’il voulait c’était ne pas passer pour un fragile à l’écran (pour la vraie histoire c’est ici), ou se surnommer Makaveli à sa sortie de taule quand en tout et pour tout il n’a lu en neuf mois passés derrière les barreaux qu’un tout petit livre sur le sujet.

Lil Pump a vraiment sauvé le rap !

Entre nous, avant Soundcloud et les drogues médicinales, le rap c’était quand même pas tout à fait ça. Les mecs écrivaient de longs textes sur lesquels il fallait faire l’effort de pencher l’oreille, les meilleurs instrus étaient du genre subtiles et travaillées, les albums ne sortaient qu’après de longs mois de préparation…

Fort heureusement grâce à de joyeux drilles comme le P’tit Pump, désormais rien de tout ceci n’a cours : il est possible de bâtir une carrière sur un gimmick (« Esskeetit! »), de faire un tube en répétant 53 fois le même mot (Gucci Gang), et tout ce qui importe vraiment c’est combien de gens vous suivent sur Insta ou quelle est la couleur de vos locks.

Y’a pas à dire, le futur s’annonce fun.

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Si besoin est, d’autres « unpopular opinions » pour vous engueuler entre potes : Future sort toujours le même album depuis 10 ans, Enter the Wu-Tang est l’un des albums les plus datés des 90’s, Notorious B.I.G. est meilleur que 2Pac, Birdman a le QI d’une huître, impossible d’écouter Eminem aujourd’hui…

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