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Procès 6ix9ine : ce qu’il ne faut vraiment pas louper avant le verdict

le 16 décembre 2019

Procès 6ix9ine : ce qu’il ne faut vraiment pas louper avant le verdict

Le rappeur trolleur sera fixé sur son sort mercredi prochain…

Candidat au titre de procès le plus médiatisé de l’histoire du rap, le procès de Daniel ‘Tekashi 6ix9ine’ Hernandez et de tout le gang des Nine Trey Gangsters est en passe de connaître son dénouement final.

Débordant largement du cadre du fait divers, il a permis au cours de la petite dizaine de jours qu’il a duré de mettre en lumière les liens d’un genre nouveau qui unissent un certain rap, le monde de la rue et celui des médias.

Si 6ix9ine n’est évidemment pas le premier artiste à jouer de ces codes et passerelles, personne n’avait avant lui poussé à ce point les curseurs.

0% voyou et 100% amuseur public, il a cependant fini par se prendre allègrement les pieds dans le tapis, jusqu’à ne faire plus qu’un avec son rôle.

Pincé par la justice pour association de malfaiteurs, extorsion, trafic de drogue et port d’armes, l’auteur des Kika, Tati, Kooda, Bebe et autre Keke a alors préféré collaborer avec la justice plutôt que de risquer de finir ses jours sous les verrous.

Héros devenu paria, il sera fixé sur son sort le 18 décembre prochain, le temps de revenir sur les enjeux et rebondissements d’un feuilleton digne d’une tragi-comédie.

« Treway ! »

Débarqué dans le rap en 2014 à 18 ans, 6ix9ine n’était à la base absolument pas affilié à un quelconque gang, lui qui peu de temps auparavant retournait encore des steaks dans une chaîne de restauration rapide.

Repéré à l’époque par le label slovaque F*CK THEM qui le premier diffuse ses clips et lui organise des concerts en Europe de l’Est, ce n’est que trois ans plus tard qu’il connecte avec cet univers lorsqu’il est mis en relation par l’intermédiaire du rappeur Seqo Billy avec un certain Kifano ‘Shotti’ Jordan, 35 ans.

Membre éminent des Nine Trey Gangsters, un gang affilié aux Bloods créé entre les murs de la célèbre prison newyorkaise de Rikers Island en 1993 (Nine Trey/Neuf Trois), il se voit demander par le jeune rookie de lui présenter quelques-uns de ses potes pour venir faire la figuration dans le clip de son prochain sigle, GUMMO.

Très street sur le fond comme sur la forme, le morceau correspond à sa nouvelle orientation : accusé en 2015 d’agression sexuelle sur mineure, les tribunaux lui ont interdit de promouvoir « une mauvaise image des femmes » sous peine d’incarcération immédiate.

D’où sa décision d’axer sa musique sur les histoires de gangstérisme. D’où sa décision de faire de Shotti son manager attitré et de passer une sorte de pacte « crédibilité contre royautés » avec son entourage.

« Pop these niggas like a wheelie, nigga, you a silly nigga »

Si dans un premier temps l’association entre les deux parties fonctionne bon gré mal gré (69 enchaîne les hits et les déclarations chocs, les Nine Trey prélèvent un pourcentage sur ses revenus), assez rapidement des dysfonctionnements se font sentir.

Bastons à répétitions, embrouilles avec les crews adverses (Chief Keef/Trippe Red/Rap-A-Lot Records), fusillades… plus la carrière de 6ix9ine monte en régime, plus se multiplient les incartades, tandis qu’en interne des tensions naissent au sein des Nine Trey.

Et c’est dans ce contexte que le 22 juillet 2018, le jour même de la sortie de son hit FEFE, il est victime d’un kidnapping qui a beaucoup intrigué – séquestré dans une voiture il se serait fait dérober cash et bijoux avant de s’échapper par la fenêtre du véhicule, quand bien même le rapport de police ne mentionne aucune évasion et relève que c’est le rappeur lui-même qui a contacté les autorités.

Toujours est-il qu’en novembre il créé la surprise en postant sur Instagram avoir viré toute sa team.

« J’ai viré tout le monde. Je n’ai plus de manager, plus d’agent, plus de PR, plus de publiciste. Je n’ai plus personne dans mon équipe. Dorénavant, c’est moi et moi seul. »

Et de préciser sur les ondes de la radio Power 105.1 : « Trop d’argent a été volé. »

« Il n’y a que deux choses que je crains : Dieu et le FBI »

Le 18 novembre, nouveau coup de tonnerre : à cinq jours de la sortie de son premier album Dummy Boy, 6ix9ine, Shotti et quatre autres Nine Trey (Jamel ‘Mel Murda’ Jones, Fugan ‘Fu Banga’ Lovick, Jensel ‘Ish’ Butler et Faheem ‘Crippy’ Walte) sont arrêtés pour infractions à la loi RICORacketeer Influenced and Corrupt Organizations Act, une loi fédérale américaine érigée pour lutter contre le crime organisé.

Objet d’une enquête fédérale menée conjointement par le Département de la Sécurité intérieure, le NYPD et l’ATF, le rappeur est suspecté d’être de mèche avec les Bloods depuis 2013.

Non-libérable malgré sa proposition de verser une caution de 2 millions de dollars, Tekashi doit toutefois une fière chandelle aux agents fédéraux, eux qui ayant eu vent de très prochaines représailles physiques envers lui et sa famille ont précipité son arrestation afin d’éviter le pire.

Pris entre deux feux (s’il avoue être un thug c’est la prison, s’il concède avoir tout bidonné depuis le départ c’est la honte), 69 opte pour la seconde option en plaidant non-coupable.

En parallèle son avocat Lance Lazzaro fait savoir que « son client n’a d’implication dans cette affaire que son utilisation des réseaux sociaux (…) qu’il n’est absolument pas membre du gang Treway Blood (…) et qu’il n’a d’ailleurs rencontré aucun de ces individus avant septembre 2017 ».

Reste que très vite, les rumeurs enflent quant à un potentiel retournement de veste, et ce d’autant plus que le rappeur est rapidement transféré dans le quartier des témoins sous protection du Metropolitan Detention Center pour « raisons de sécurité ».

United States of America v. Nine Trey Gangsters

Le 22 janvier 2019 trois nouveau membres des Nine Trey Gangsters sont placés en détention : Kintea ‘Kooda B’ McKenzie, Denard ‘Drama’ Butler et Anthony ‘Harv’ Ellison.

Le premier pour tentative de meurtre sur la personne de Chief Keef en juin 2018 devant le W Hotel de Manhattan, le second pour une autre tentative de meurtre à l’encontre de Chief Keef en juillet 2018, et le troisième pour la tentative de kidnapping de 6ix9ine en juillet 2018.

Sentant les circonstances de moins en moins favorables et sa défense de moins en moins crédible, Tekashi change complètement de stratégie : non seulement il se résout à plaider coupable 1er février, mais deux semaines plus tard il conclut un deal avec le procureur afin de réduire les 47 années de placard minimum promises en échange de son témoignage sur les agissements de ses coaccusés.

En terme technique ça s’appelle « snitcher », et qu’importe le motif, dans le rap comme dans la rue il n’y a pas pire offense.

Toujours est-il que suite à ce coup de théâtre, son procès est reporté au 16 septembre tandis que ses anciens potos choisissent les uns après les autres eux aussi de plaider coupable quand ils passent à la barre.

« Il s’agissait d’être loyal »

De retour au centre des attentions quand s’ouvre le procès, 6ix9ine/Hernandez met à nouveau les internets sans dessus dessous quand il est appelé à témoigner lors des jours 2, 3 et 4.

Le cheveu débarrassé de ses teintes arc-en-ciel, s’exprimant de manière calme et articulée (cf. cette fuite audio longue de dix minutes), il explique dans une salle bondée comment est née son affiliation avec les Nine Trey, le tout sans omettre le moindre détail sur leur fonctionnement (leur argot, leurs signes et poignées de la main, la structure de leur organigramme qui distingue membres incarcérés et membres en liberté, etc.).

Pour ce qui est de son intronisation officielle, cette dernière s’est déroulée suite au clip de Kooda (un titre qui comme son titre l’indique dédicace son ancien associé Kooda B) sans que lui soit imposé un traditionnel rite de bizutage (généralement tabasser quelqu’un et/ou se faire tabasser).

Interrogé par la juge sur ce qu’il doit au gang, 6ix9ine lui répond sans ambages : « Je dirais ma carrière, ma crédibilité de rue, ma sécurité… Je leur dois tout (…) J’ai concocté une formule et ça a marché, les gens ont aimé. »

Sauf que le succès venant, les appétits de ses petits copains se sont aiguisés à la vitesse du son divisant le gang en quatre clans bien distincts qui ont fini par s’affronter.

Sommé de choisir, le rappeur a choisi le camp de Schotti.

Pas de chance pour lui, son ancien garde du corps Anthony ‘Harv’ Ellison et Seqo Billy prennent plutôt mal la chose et fomentent la fameuse tentative de kidnapping de juillet 2018.

À en croire le témoignage du principal intéressé, il n’aurait ce soir-là jamais eu aussi peur d’y passer. Tabassé à coup de crosse de pistolet pour leur avoir « manqué de respect », il leur a alors promis 100 000 dollars s’ils le gardaient en vie jusqu’au petit matin pour le conduire la banque.

Ellison et Billy préfèrent toutefois se rendre chez lui pour lui piquer toute sa joaillerie. Une fois leur larcin commis, désespéré 6ix9ine profite d’un moment d’inattention de ses geôliers pour sauter dans le véhicule d’un inconnu et lui demander de le conduire au poste de police le plus proche.

« Moi qui criait sur tous les toits que j’étais intouchable, que j’étais le roi de ma ville, j’étais humilié » concède ainsi Tekashi à la barre, non sans ajouter dans la foulé qu’il ne lui est à l’époque pas venu à l’idée de balancer.

« J’étais encore avec Shotti, j’étais encore un Nine Trey. Il s’agissait d’être loyal. »

Snitch-9ine

Au cours des trois jours où il a été entendu, Daniel Hernandez s’est laissé aller à bien d’autres confidences.

Outre Ellison et Billy qu’il a directement accablés, il a notamment relaté in extenso l’agression de Trippie Red dans un hôtel newyorkais en novembre 2017, admis avoir placé un contrat sur la tête du cousin de Chief Keef en juin 2018, outté Jim Jones et Casanova comme membre des Bloods, et décliné les identités des gangbangers aperçus dans les clips de GUMMO et Kooda.

Collaborateur précieux, ses informations ont permis ultérieurement de condamner Faheem ‘Crippy’ Walter et Jensel ‘Ish’ Butler à 5 ans chacun pour le cambriolage d’un appartement de Manhattan (cambriolage filmé à l’époque par 69), Jamel ‘Mel Murda’ Jones (le supposé leader de Nine trey) à 11 ans pour racket et trafic de drogue… mais aussi Shotti à 15 ans pour racket et possession d’armes.

Sans surprise un tel déballage ne plaît guère ni à ses confrères rappeurs qui de Snoop à Future en passant par Meek Mill ou Lil Durk dénoncent son absence d’éthique, ni à la dizaine de milliers de Bloods disséminés aux quatre coins des États-Unis qui rêvent tous désormais de lui faire la peau

Un comeback dans les tuyaux ?

Visiblement pas plus inquiet que ça de se faire exploser la cervelle à chaque foi qu’il met le nez dehors, 6ix9ine, 23 ans, envisage même de reprendre sa carrière là où il l’a laissée.

Libérable selon les pronostics courant 2020 (encore récemment le procureur général conseillait par courrier au juge de se montrer clément), il s’est d’ores et déjà refusé de rejoindre tout programme de protection de témoin.

Si le contrat à dix millions de dollars du label californien 10K Projects évoqué un peu partout dans les médias vaut ce qu’il vaut (sans connaissance précise des clauses qui le régissent, ce genre d’annonce ne signifie absolument rien), ce qui est certain c’est qu’aujourd’hui comme hier 6ix9ine électrise toujours autant les foules.

Et malgré sa récente lettre dans laquelle il se confond d’excuses et s’engage solennellement à « dédier une partie de sa vie à aider les autres à ne pas commettre les mêmes erreurs que lui », personne ne l’imagine ne faire autre chose que du 6ix9ine une fois dehors.

Sera-ce suffisant pour faire comme si rien ne s’est passé depuis 12 mois ? « Plus le défi est grand, plus la victoire est belle » serait on tenté ici de botter en touche…

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