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« Illmatic », chronique du meilleur album rap de tous les temps

le 5 juillet 2019

« Illmatic », chronique du meilleur album rap de tous les temps

Le chef d’oeuvre de Nasir Jones fête ses 25 ans…

Les 40 minutes que durent Illmatic sont-elles les 40 plus grandes minutes du rap ?

À l’heure où parler de classique ne signifie plus grand-chose tant le terme est repris à toutes les sauces, voilà une œuvre dont c’est peu dire qu’elle fait consensus depuis sa sortie le 19 avril 1994.

Difficile en effet de trouver un album de rap aussi mature, aussi complexe, aussi ciselé.

Difficile en effet de trouver un rappeur (qui plus est âgé de 22 ans à peine au moment des faits) dont les textes sont d’une telle profondeur et dont le flow glisse avec autant de facilité à l’oreille.

Difficile enfin en effet de trouver un tel assemblage de producteurs, tous depuis rentrés dans la légende, qui d’un commun effort ont réussi à monter en épingle cette identité sonore encore aujourd’hui résolument unique.

Ben ouais les loulous : Illmatic ce n’est ni plus, ni moins qu’un quart de siècle d’histoire du rap qui vous contemple.

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1. The Genesis

Le bruit d’une rame de chemin de fer au loin, un dialogue extrait du film Wild Style (le premier film étiqueté « hip hop »), un freestyle de Nas dans le fond enregistré trois ans plus tôt (Live at the Barbeque), quelques mots d’argot des Five Percenters, le frangin Jungle et le poto AZ en embuscade, le Hennessy prêt à couler… Illmatic peut commencer.

Notez que six ans plus tard, du côté de chez nous Le rat Luciano et sa Fonky Family sampleront cette intro pour leur morceau Le jeu sur l’album Mode de Vie… Béton Style.

2. N.Y. State Of Mind

Entre la production rampante de DJ Premier rentrée depuis dans les livres histoire et un premier couplet candidat très sérieux au titre de meilleur couplet ever, c’est peu dire que l’on fait ici face à un monument.

Point d’orgue du talent d’écriture sans pareil de Nas, entre références à la weed et aux guns de toutes tailles (.45, MAC10 et autre TEC 9), il balance la surpuissante punchline « I never sleep, ’cause sleep is the cousin of death » inspirée des dieux de la mythologie grecque Hypnos (le dieu du sommeil) et Thanatos (le dieu de la mort).

3. Life’s A Bitch

« Le jour où nous avons enregistré avec AZ, j’ai réalisé en arrivant en studio que j’avais perdu mon cahier de rimes dans le train. On était tous flippé, c’était comme si j’avais paumé les numéros gagnants du Loto… Bon après, le bon côté de poser ses rimes sur papier c’est que j’avais quand même mémorisé une grande partie de ce qu’il y avait dedans. »

Toujours est-il que si malgré ce coup du sort Nas s’est surpassé, AZ était au même moment absolument intouchable.

AZ était d’ailleurs tellement intouchable que comme Nas qui a pâtit à n’en plus finir de voir tous ses albums suivants comparés à Illmatic, AZ, dont c’est la première apparition sur disque, souffrira de voir tous ses couplets suivants comparé à ce petit chef d’œuvre.

Sinon le petit solo de trompette dans les derniers mètres est signé Olu Dura, le paternel de Nas.

4. The World Is Yours

Seule et unique prod’ de Pete Rock de l’album (le Dr. De de la côte Est de l’époque), cette instru aussi smooth que jazzy est l’occasion pour un Nas pas encore Nasty de référencer allégrement le Scarface De Brian de Palma que ce soit dans le texte ou dans le clip.

Le délire gangster ne s’arrête cependant pas là puisque le jeune emcee est celui qui avec Illmatic popularise le fait de citer de vraies figures du crime de son voisinage, comme ici Howard ‘Pappy’ Mason, un trafiquant de drogue notoire du quartier de Jamaica Queens, ou comme plus tard dans le disque la Supreme Team et Alpo Martinez.

Et dans la catégorie punchline de finale de Coupe du Monde, impossible ne pas mentionner la ligne « I’m out for presidents to represent me » reprise en grande pompe par Jay Z quelques années plus tard.

5. Halftime

Le banger d’Illmatic.

Premier single officiel de l’album, la rumeur veut que cette Mi-Temps entendue une première fois sur la bande originale du film Zebrahead soit le titre qui ait convaincu la maison de disque Columbia de lui offrir un deal – et ce pour l’anecdote après que Russell Simmons de Def Jam ait passé son tour estimant que Nas sonnait trop comme Kool G Rap.

Comme avec la majorité des producteurs de l’album, on peut regretter qu’il n’ait pas poursuivi sa collaboration avec Large Professor par la suite.

Aujourd’hui un peu tombé dans les oubliettes, ‘Large P’ mélangeait alors sonorités boom bap et soul comme personne.

6. Memory Lane (Sittin’ In Da Park)

La qualité peut-être la plus marquante du Nas du milieu des années 90, c’est sa capacité sans pareil à rapper en donnant à la fois ce sentiment qu’il en a tellement vu, mais aussi à ce sentiment qu’il lui en reste tellement à apprendre.

Preuve en est ici avec ce morceau empli de nostalgie qui entre scratchs et « oooh oooh oooh » rend hommage sans le dire à son meilleur ami Ill Will décédé sous ses yeux des suites de blessures par balles.

La chanson préférée de beaucoup.

7. One Love

Assurant le refrain sans toutefois être crédité comme featuring, Q-Tip du groupe A Tribe Called Quest s’occupe en sus de la production de ce morceau dans lequel Nas adresse tout son soutien à l’un de ses potes incarcérés.

Solennité et mélancolie sont donc au menu, même si comme c’est très souvent le cas avec notre maître du flow, pas besoin d’être parfaitement bilingue pour saisir l’essence de son texte et ressentir les émotions qui s’en dégagent.

8. One Time 4 Your Mind

Sur un tempo plus lent que le reste de l’album, Esco utilise l’un de ses figures de style favorites : rapper une même histoire selon différentes perspectives.

Dans la première partie, il est ainsi un ado impressionnable qui rêve de thug life, dans la seconde, il se vieillit de quelques années pour être le genre de type qui vit la thug life.

Si le résultat est efficace, nous ne sommes cependant pas en présence d’un 10/10. Toute proportion gardée, il n’est d’ailleurs pas scandaleux de considérer One Time 4 Your Mind comme le track le plus « oubliable » d’Illmatic.

9. Represent

Désireux de porter « aussi haut que possible » la bannière de son Queensbridge natal, Nas se plie à l’exercice de l’hymne de quartier.

Solidement mis à mal lors de la décennie précédente à l’occasion de la guéguerre que sont livrés Boogie Down Productions et le Juice Crew afin de déterminer une bonne fois pour toutes le lieux de naissance du hip hop, QB retrouve ici des couleurs grâce à son fils prodige.

« J’avais quand même la pression. Le clash avec BDP nous avait pas mal fait douter. Il était donc question pour moi d’assurer un max, de nous représenter jusqu’à la mort. »

10. It Ain’t Hard To Tell

Quand beaucoup négligent l’outro, Nas met les petits plats dans les grands en assortissant l’inoubliable Human Nature de Michael Jackson d’une cascade de punchlines reprises depuis à profusion par la concurrence (« Half-man, half-amazing », « My poetry’s deep, I never fell »…).

Avec seulement dix petites pistes au compteur (voir même neuf si on exclut l’intro), Illmatic fait ainsi le choix de la cohérence sur l’abondance, de la retenue sur la boulimie, ou pour le dire encore plus clairement, de la qualité sur la quantité.

Verdict : toujours G.O.A.T. ?

S’il n’existe évidemment pas de réponse toute faite, le simple fait de continuer de se poser cette question 25 ans après les faits, alors qu’entretemps le rap a tellement changé et que sont sortis tant de classiques, relève de l’exploit.

Ce que l’on peut en revanche affirmer avec certitude à propos d’Illmatic, c’est que peu importe l’âge ou les goûts des uns et des autres, si vous n’aimez pas ce disque, vous n’aimez pas vraiment le rap.

Et un peu comme Kind of Blue de Miles Davis, Thriller de Michael Jackson ou Songs in the Key of Life de Stevie Wonder, si vous n’aimez pas ce disque, c’est peut-être que vous n’aimez pas vraiment la musique.

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