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Roméo Elvis, le rappeur belge entre luxe et morale [INTERVIEW]

le 17 février 2018

Roméo Elvis, le rappeur belge entre luxe et morale [INTERVIEW]

A l’heure où « Morale 2 Luxe » débarque, Booska-P reçoit Roméo Elvis en interview. Un Belge devenu roi de la scène, artisan d’un rap décomplexé et sans frontières.

Gueule impossible à manquer, Roméo Elvis est l’un de ses rappeurs à ne laisser personne indifférent. Venu de Belgique, il a fédéré le public autour de morceaux aussi barrés que géniaux. Devenu un véritable monstre de festival, il fait aujourd’hui pogoter son public au rythme de ses gimmicks et n’arrête jamais d’écrire. Productif, il a dévoilé le 16 février Morale 2 Luxe, réédition de son précédent projet. Toujours accompagné de son beatmaker, Le Motel, Roméo transforme l’essai avec pas moins de 11 nouveaux titres. Pour l’occasion, il a donné rendez-vous à Booska-P pour une interview en bonne et due forme. De quoi causer de sa soeur Angèle, d’un rap qui se démocratise et de ses problèmes d’acouphènes.

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Ta réédition débarque avec 11 morceaux inédits, chacun d’eux à sa propre couleur musicale… On peut dire que tu écoutes enfin de tout ?

C’est facile à dire. Personne n’écoute de tout, ça n’existe pas. Il y a trop de musiques pour tout écouter. Il suffit juste de réfléchir deux secondes, c’est impossible ! Mais ouais, chaque morceau a son identité, c’est clairement ça. Y’a du 2 step, des trucs à la UK Garage. Pour parler simplement, on essaye de faire les choses avec une certaine recette. C’est comme dans un grand plat, on a besoin de sucre, de sel, d’eau, de farine, ou de lait. Pour moi, tous ses ingrédients, ce sont les métaphores de tous les styles musicaux, de certains délires ou rythmiques qui vont faire un ensemble, un album. Par exemple, Lomepal je trouve ça super, car c’est bien construit, il y a de tout. Sur son projet, t’as du turn up, du profond dans l’écrit et en même temps quelque chose d’introspectif. C’est très personnel, ça parle de ses expériences. Avec Le Motel, dans la réédition, on a voulu chercher à créer des couleurs et des aliments qu’on n’avait pas encore. Vu que Morale 2 c’est un projet, c’est déjà un plat, une tarte aux cerises, là avec la réédition on se retrouve dans les cuisines, dans notre laboratoire 2.0. Motel et moi, on aime les trucs anglais, on a voulu faire un truc à la Pharrell, à la Timbaland.

Vous avez lâché les chevaux…

On se permet des trucs, c’est un vrai délire. Ce n’est pas la même approche, car tu te dis que c’est pas grave si tu te loupes. C’est ce qui rend le projet cool. Tu ne te dis pas qu’il te manque des choses pour faire un bon projet. Par exemple, il n’y a rien de vraiment profond sur Morale 2 Luxe, rien de deep et de crémeux comme J’ai vu ou Les hommes ne pleurent pas. Du coup c’est cool comme approche, c’est de la pure spontanéité.

C’est certes plus cool, mais tu rappes sur des thèmes qui touchent tout le monde.

C’est un compliment pour moi. Car dans la musique, c’est ce que je veux faire : résonner dans la tête des gens avec des mots simples. Quand je rappe, c’est par rapport à mes expériences, et dès que ça parle aux gens, c’est réussi. Quand t’arrive à poser sur le papier tes pensées, et que l’auditeur le ressent, c’est cool. C’est une évolution dans mon écriture. Là par exemple, j’écris de plus en plus. En toute modestie, j’ai pris une sacrée confiance avec la réédition et là, j’écris des trucs de fou, monstrueux ! J’espère faire fructifier ça.

Aujourd’hui, Lomepal peut inviter Alkpote et Philippe Catherine, la boucle est bouclée

Tu parles d’évolution dans l’écriture, maintenant, on peut dire que tu assumes ta notoriété ? T’en parles dans le morceau Respirer.

Les nouvelles expériences, le style de vie, ça impacte d’office l’écriture. Alpha Wann dit par exemple « je rappe sur le rap car aujourd’hui j’ai plus de vie« . C’est tout le paradoxe du rappeur, être intéressant dans ce qu’il raconte. Avant il appartenait à la société moderne comme toi, maintenant, il s’en éloigne peu à peu. Quand tu réussis, on te colle une image, ça a un impact sur ton approche. Sur Xeu de Vald, tu sens le poids de la célébrité sur le personnage dans Jentertain et Réflexions basses, c’est fou ! Cela parle aux gens, c’est là tout le paradoxe, faire quelque chose, rester crédible, parler aux gens alors que je ne suis plus un membre de la société active normale. Y’a plus que ça qui intéresse les gens chez moi : comment je vis le fait d’être connu. C’est un exercice permanent, faut faire attention. Moi je ne parle que de ça dans mes textes, je m’en rends compte et faut que je fasse gaffe.

Drake fait toute une carrière avec ce thème.

Chez lui, c’est carrément exacerbé. Il a fait Started From The Bottom alors qu’il est passé par le cinoche avant (rires) ! T’as envie de lui dire ça va mec, tranquille (rires). Mais c’est très dur de se justifier, parler d’où on vient, même moi.

Dans le rap, c’est désormais plus libre.

Cela s’est démocratisé. Le rap, c’est une musique qui vient d’un milieu populaire, mais qui prend toutes les personnalités qui se trouvent autour, ça va avec une sorte de gentrification. Par exemple, il n’y a plus aucune différence entre les rappeurs et les rockeurs. T’as les cheveux longs, t’es torse nu sur scène, avec des tatouages… Tout est mélangé maintenant. Le côté autodestructeur des rappeurs, avec la lean et le Xanax, avant ça pouvait être limite punk. Et les mecs comme Tyler The Creator, quand ils sont arrivés avec leurs gangs, c’était super punk au début. Le mélange, c’est ce qui me fait kiffer dans le rap. Il y a tous les rappeurs mainstreams qui font des trucs avec Justin Bieber aujourd’hui, pour le grand bien de l’industrie. Moi je ne crache pas dessus, t’as de tout, du mauvais comme du bon. Aujourd’hui, Lomepal peut inviter Alkpote et Philippe Catherine, la boucle est bouclée.

Un disque d’or, des millions de vues, des plateaux de télévision… Tout ça c’est cool, mais un festival rempli frère, un Bataclan rempli, ça me fait jouir 16 fois

On retrouve de plus en plus le rap en festival, toi t’es un habitué des grosses scènes !

Je ne vis que pour ça. J’en parle dans Pogo, c’est exactement ça. Un disque d’or, des millions de vues, des plateaux de télévision… Tout ça c’est cool, mais un festival rempli frère, un Bataclan rempli, ça me fait jouir 16 fois. C’est ça que je veux faire de ma vie : remplir des salles et jouer devant des gens. C’est l’énergie la plus palpable, je ne vis que pour ça. Je mets toutes mes forces là-dedans.

Pour poursuivre sur ce côté « démocratisation », t’as un feat avec Therapie Taxi qui a par exemple beaucoup tourné.

Il a tourné véner, il est bien mixé, c’est un morceau qui sonne bien. C’est Fonky Flav qui s’occupe d’eux et qui m’a contacté. Je me disais que ça allait être cool, tranquille. Puis quand on m’a envoyé le mix, putain, j’étais choqué. C’est la première fois que je capte l’importance du mix sur un morceau, ça le rend super riche, totalement fluide, hyper radio. En Belgique, c’est le truc qui tourne le plus en radio. Je suis le rappeur belge le plus écouté en radio grâce à ça. Il y a ma soeur (Angèle), qui est la plus écoutée en Belgique et moi le deuxième avec ce truc-là, on est refait (rires).

Il y a quasiment toute la scène belge qui s’est retrouvée sur la B.O du film Tueurs. Vous avez l’air assez proches, la ville de Bruxelles y est pour quelque chose ?

Un tel film, une production de cette envergure, ça fait plaisir d’être invité à participer au truc. Je ne te cache pas qu’à la première vision du film, ça ne m’a pas forcément inspiré. Et puis le fait de voir tous les autres qui étaient chauds, ça m’a motivé. C’est ça qu’il faut retenir, dans cette équipe de rappeurs, tout le monde est de bonne volonté. Damso, malgré tout ce qu’il a à faire, il s’est montré disponible. C’est du cinéma Belge, donc ça fait plaisir de pouvoir mettre en avant notre truc. Bruxelles, c’est hyper ramifié. Ce n’est pas entouré d’une banlieue, il y a des quartiers pauvres ou riches de partout. Tu peux être chez les geois-bour, juste après tu te retrouves dans un quartier hyper dangereux, puis tu fais 30 mètres et t’es chez les vieux. La ville impacte sur notre façon de penser et de voir les choses.

C’est sûr qu’avec ma manière d’écrire, si je m’aventure vers des sujets qui tournent autour du gangstérisme, je vais être influencé par Tarantino

François Troukens, le réalisateur du film, m’avait confié que t’étais le Tarantino du rap belge. T’es ok avec la comparaison ?

François c’est un O.G et p*tain ça me fait plaisir ! Quentin Tarantino pour moi c’est une référence, c’est le plus gros quand tu parles gangsters, violence, sang qui coule, etc. Pour moi, c’est le meilleur dans plein de catégories : meilleur cinéma américain, meilleur cinéma de gangsters, meilleur dans la photo… C’est facile à dire, car ce n’est pas un petit réalisateur qui fait ses trucs en scred. C’est un Dieu ! C’est sûr qu’avec ma manière d’écrire, si je m’aventure vers des sujets qui tournent autour du gangstérisme, je vais être influencé par Tarantino. Je suis fier que François Troukens l’ait remarqué.

Pour terminer, t’as toujours sujet aux acouphènes ?

Bien sûr, les acouphènes, c’est toute ta vie. A l’instant où on parle ça siffle et ça continuera à siffler jusqu’à ma mort. C’est quelque chose d’irréversible et je veux contribuer à la recherche pour changer ça. Je n’ai pas envie de mettre de la maille nulle part, je ne suis pas un Picsou. Si je peux aider par une influence sur les réseaux sociaux ou par les tunes, je le ferais. Je peux faire de gros festivals, mais je peux aussi aller faire des concerts avec des baffles pourries dans mon ancienne école, pour faire plaisir aux gamins. Je ne suis pas vraiment focus sur la tune, gérer l’argent ce n’est pas mon délire. Autant le mettre là-dedans.

Crédits Photos : Antoine Ott

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