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Je suis allé au concert hommage à Adama Traoré [CHRONIQUE]

le 3 février 2017

Je suis allé au concert hommage à Adama Traoré [CHRONIQUE]

Booska-P s’est rendu à la Cigale pour assister au concert en l’hommage à Adama Traoré. Un concert qui a dépassé de très loin les limites de la musique…

Crédit photo © Jérémie Masuka

Je me suis rendu à la Cigale, dans le 18ème arrondissement de Paris, pour assister au concert organisé par Youssoupha et la famille Traoré, pour rendre hommage à Adama Traoré, décédé l’été dernier, dans de tristes et sombres circonstances, qu’il reste encore à éclaircir. Arsenik, Dosseh, Youssoupha, Médine, Mac Tyer, Kery James, Sofiane, Tito Prince et Dooums étaient au rendez-vous pour un concert unique, qui restera, à jamais, gravé dans ma mémoire.

Rappel des faits

Le 19 juillet dernier, le jour de son anniversaire, Adama Traoré a perdu la vie à Beaumont-sur-Oise, dans le Val d’Oise, entre les mains et dans les locaux de la gendarmerie. Plusieurs expertises le déclare mort à cause d’une maladie, la famille n’y croit pas. Pour elle, c’est la police qui a pris Adama.

Cette famille, eudeuillée, détruite, se lance alors dans des procédures pour obtenir une contre-expertise, avec d’autres medecins, mais en vain. L’affaire semble classée sans suite, laissant une mère anéantie, incapable de faire son deuil.

Mais c’était sans compter sur le courage et l’acharnement d’Assa Traoré, la grande sœur d’Adama. Assa est jolie, pas très grande, pas très costaud, mais a les épaules plus larges que n’importe qui sur terre. À elle toute seule, elle a relevé chaque membre de sa famille, un à un, tous les proches de son frère défunt, rassemblé de nombreux médias et sensibilisé de nombreux artistes. Elle a d’ailleurs monté une association récemment, pour que chaque citoyen puisse faire valoir ses droits, ici en France.

Aujourd’hui le combat continue pour la famille. Les procédures judiciaires ont repris en octobre dernier et devraient donner naissance à de nouvelles expertises, faites par de nouveaux médecins, pour que la vérité sur la mort d’Adama soit révelée au grand jour.

Une salle comble et diversifiée

C’est en arrivant devant la Cigale, que je me rend compte de l’ampleur qu’a pris cette affaire. Une queue à n’en plus finir s’est créée à partir des fouilles de sécurité, l’ambiance est festive, mais bien différente de ce que j’ai pu connaître. Chacun est là pour passer un bon moment, avec des artistes influents de la scène rap de l’hexagone. Pour beaucoup, le cœur y est, mais la tête est ailleurs.

Blancs, noirs, arabes, jaunes, violets, riches, pauvres, jeunes, grand-parents, parents. À ma grande surprise, je découvre une pluralité et une mixité impressionnante aux abords de la salle. Tous réunis pour la même cause, certains ne connaissent même pas les artistes, mais se disent touchés par l’histoire des Traoré. Beaucoup sont venus de loin, repartant le soir même pour leur province ou leur banlieue.

Devant, les revendeurs de billets se comptent par dizaines. J’y suis, la Cigale affiche une salle comble où règne un étrange silence palpable avant l’arrivée des rappeurs.

Le public comme 12ème homme

Les artistes passent chacun leur tour et enchaînent leurs classiques, en featuring avec un public acquis à leur cause.

Sofiane balance un 93 Empire ravageur avant que Youssoupha, Lino et Kery James viennent interpréter Musique Nègre, un morceau qui hier soir prenait tout son sens. Morceau après lequel, Kery James, porté par un élan d’émotion inégalé, finira dans la foule.

L’espace entre chaque chanson laisse place à des discours de rappeurs, émus, touchés, qui apportent leur soutien à la famille et surtout à la maman, présente hier soir, qui en a fait pleurer plus d’un.

Pour ceux qui ne les connaissaient pas, ils ont eu la chance de découvrir de grands artistes français, mais surtout l’homme qui se cache derrière. Hier soir, peut-être pour la première fois, on a entendu une voix tremblotante sortir de la bouche de ses grands gaillards, pourtant habitués à rapper la rue et à raconter un quotidien difficile. Kery James, Youssoupha, Lino, Sofiane et tous les autres ont ému le public comme ils ne l’ont encore jamais fait.

Chaque petit blanc, laissait place à des chants, entamés par le public. « Justice pour Adama » résonne alors, à l’unisson, dans toute la salle, laissant des frissons parcourir mon corps tout entier. Jamais je n’avais ressenti une telle émotion dans une salle de spectacle. Aujourd’hui encore, ces paroles résonnent dans ma tête.

Un invité surprise

Après un show et un discours exceptionnel de Youssoupha, l’organisateur de l’évènement estampillé Bomayé, dédicace les artistes qui n’ont pas pu être présents ce jeudi. Il commence à interpréter Je suis français de Black M, une chanson qui a connu une double polémique et qui a mis encore un peu plus à la lumière la triste affaire Traoré.

Surprise, au milieu du premier couplet, Black M débarque, avec le même t-shirt qu’il portait dans son clip et qu’au moins la moitié de la salle avait revêtu. La Cigale explose. Le morceaux est interprété par toute la salle avec les tripes et sonne comme un hymne à la liberté.

Une fin de concert pleine d’émotion

Il est environ 22h30, le concert touche à sa fin. L’heure pour Youssoupha de réunir l’association d’Assa, les artistes et la famille Traoré, pour laisser place à des discours et à un diaporama, le tout dans un silence religieux. Assa, toujours pleine d’assurance, réussi à prendre la parole, sans craquer, ce ne sera pas le cas de son frère Youssouf. Yacouba, le petit frère d’Adama, prend le micro, remercie le public avant de parler de son autre frère, Baguy, toujours enfermé à l’heure actuelle.

« Adama on t’oublie pas » « Justice et vérité » « Assa présidente » entend-t-on un peu partout, comme pour exterioriser une colère qui est heureusement depuis redescendue, mais aussi pour éviter que les larmes ne montent. Pour beaucoup, cela ne suffira pas. Dans la salle, l’émotion se fait sentir, beaucoup craquent, pleurent et se serrent dans les bras. Je ne sais plus trop où me mettre, la fête est finie, l’euphorie et la joie retombent très rapidement et je me rappelle, pourquoi je suis ici. Instantanément, mes yeux se braquent sur la maman d’Adama, détruite, qui a pris conscience qu’elle ne reverra plus son fils.

C’est sur une note de joie qui finira tout de même ce concert. Après avoir fait danser les vestiaires du PSG, la Section Pull Up a retourné la Cigale avec l’interprétation de leur morceaux Comme DAB.

Ce concert aura été un moment d’emotion énorme, qui, le temps de trois petite heures, a redonné vie, à Adama, Zyed, Bouna, Éric, Ilies, Medhi et tous les autres de la longue liste des jeunes morts dans des circonstances étranges. Tous leurs noms figuraient sur l’écran géant de la Cigale. Les familles de ces jeunes étaient également présentes.

À la sortie, les spectateurs sont restés longtemps devant, comme pour que ce moment de joie, que je n’avais encore jamais connu, dure encore un peu plus.

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