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A2H : parcours d’un charbonneur hédoniste [PORTRAIT]

le 21 février 2018

A2H : parcours d’un charbonneur hédoniste [PORTRAIT]

Pour Booska-P, l’artiste retrace son parcours : de ses premières rimes, en 2000, à la préparation de son album « L’Amour », aujourd’hui.

Alors que la nuit tombe doucement en ce mardi d’hiver, nous retrouvons A2H du côté de Pigalle. Une fois posés dans le salon d’un hôtel que son attachée de presse a réservé pour l’occasion, il nous explique que c’est un coin où il a pas mal ridé, notamment du côté des Abbesses, près de la boutique de son pote Jérôme Qhuit. Après avoir commencé le rap en 2000, à l’âge de 13 ans, il se tourne en 2004 vers le reggae, vivant alors ce qu’il appelle sa période « hippie ».

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Lâchant un peu le rap dont il juge l’évolution trop « caillera » à son goût, il est alors en pleine recherche d’identité musicale, avec déjà ce côté touche-à-tout, versatile : « Même si j’ai grandi dans un quartier, c’était une époque où je faisais pas que des trucs de mec de quartier. Moi j’aimais faire du skate, j’allais dans des concerts avec mon cousin qui, lui, écoutait du rock. J’étais un peu entre deux mondes : entre le monde de la street avec mes potes du quartier. Et le fait que moi je me suis un peu émancipé, que je traîne un peu avec des blancs, avec des meufs. Et ça a été crucial pour moi ce moment-là. » Aujourd’hui, il considère que ces barrières se sont estompées : « Les skateurs et les mecs de quartiers, ils sont habillés exactement pareil aujourd’hui. A l’époque c’était pas ça, t’avais des signes distinctifs, et moi j’étais entre les deux ».

Les débuts

A 17 ans, il arrête l’école et part de chez lui, décidé à se lancer dans la musique, vivant de petits jobs et de débrouille. Mais sa prise de distance avec le rap n’est qu’un break passager. Bassiste dans des groupes de rock et de reggae, il va vite être lassé par l’ambiance « babos et jongleries », et revenir à ses premières amours musicales, sa base, qu’est le hip hop. De ce parcours de curieux, A2H garde un goût prononcé pour le mélange, qu’on ressent pleinement dans les variations de sa musique. Un itinéraire qu’il évoque notamment dans le morceau Pardonnez-moi, qui ouvre l’album Libre, sorti au printemps 2016 : « Y’a toujours un moment où tu dois t’excuser auprès de tout le monde. Tu dois t’excuser auprès de ta meuf, parce que bah ouais, dans mes potes y’a des lascars, y’a des mecs qui sont en taule, mais c’est la famille. Et tu dois te justifier auprès de tes potes un peu plus thug : ‘Bah ouais, j’aime bien aller me faire une expo à Beaubourg avec ma pote Camille’. Et ce truc d’être entre les deux, c’est toute ma life. »

Si t’as envie de te déguiser en lapin mon gars, te casse pas les couilles

Enfant métis d’une mère malgache et d’un père espagnol, le parcours d’A2H semble l’amener à être assez peu friand des cloisonnements culturels. Aussi est-il peut-être trop attaché à cette fameuse liberté, pour toucher à celle des autres : « Moi ça me dérangerait pas qu’un petit blanc, qui a grandi à Versailles ou n’importe où, il kiffe s’ambiancer dans des maquis, écouter du dombolo, qu’est-ce qu’on s’en fout en vrai ? C’est ça ma position, fais ce que tu veux tant que tu nuis à personne », rajoutant avec humour : « Si t’as envie de te déguiser en lapin mon gars, te casse pas les couilles. »

En 2007, il sort une première tape avec le beatmaker Job, sous le nom de Coconut sunshine. Imprégnée d’influences anglaises, il l’a réalisée lors d’un séjour à Londres chez sa meilleure amie, expatriée outre-manche : « Moi et mon pote on venait pas de cet univers. On découvre la musique électro, le grime, les sound-systems, on est comme des oufs ». Intégrant déjà de l’autotune, des effets screw et des inspirations musicales qui vont puiser aussi bien chez Kanye West, que T Pain ou Kaytranada, le produit est presque trop en avance sur son temps. A2H se rappelle que leur projet fût surtout bien accueilli par « les mecs chelou », autrement dit, ce que les médias ont appelé le « rap alternatif ». En gros, une minorité d’artistes osant s’écarter des modèles dominants d’alors, sans qu’il y ait forcément de cohérence musicale entre les artistes rangés sous cette étiquette : des groupes comme La Caution, TTC, Triptik, ou encore les Svinkels.

J’ai joué dans des festivals punks, j’ai joué en première partie d’IAM, j’ai fait des trucs de ouf

Parmi ces derniers, le légendaire Gérard Baste des Svinkels a un coup de cœur pour lui, ce qui les amène à réaliser le morceau Casse ta nuque, qui va étendre l’exposition d’A2H et de ses skillz, avec un flow déjà efficace. A ce moment-là, Gérard Baste est en froid avec ses acolytes, et doit réaliser seul une tournée d’une quarantaine de dates. Il propose à A2H d’assurer la moitié du spectacle, et également de le backer lors de sa partie. Ce qu’il refuse d’abord, face à un délire qu’il juge un peu éloigné du sien : « Je voyais ça comme un truc à moitié rock alternatif ». Réalisant après réflexion la valeur de cette opportunité, il ne va pas regretter son choix : « Gérard Baste, je le kiffe. C’est un mec chan-mé, sa femme c’est sa manageuse, je la kiffe, c’est des gens en or. Finalement on a fait le tour de la France deux fois, j’ai joué dans des festivals punks, j’ai joué en première partie d’IAM, j’ai fait des trucs de ouf ». A2 va faire plus que le job, avec une prestation scénique convaincante. Il commence à se faire un nom, et celui-ci, d’abord absent sur les affiches, va y être rajouté au cours de la tournée.

Retour aux sources hip hop

C’est en 2011 qu’il réalise la Downtown street tape, qui fait office de carte d’identité, sa première mixtape solo, résolument boom bap, et sur laquelle il réalise toutes les prods. Après avoir eu le temps d’explorer d’autres terrains musicaux comme l’électro, A2H a alors à cœur de réaliser une tape de « hip hop traditionnel », comme pour éviter tout malentendu sur sa qualité de rappeur, lui qui est aussi à l’aise guitare à la main qu’accompagné d’une TR-808 : « Je voulais pas que les gens se disent : ‘A2 c’est un mec de l’électro’, rien à voir ! Moi j’ai grandi avec le rap, Lunatic, NTM, et je voulais que les gens captent que je viens de cette musique là ». Sur ce projet qui se réécoute aujourd’hui avec plaisir, on peut retrouver Gérard Baste, Greg Frite, ou encore un certain Nekfeu, qui en est aussi à ses débuts, invité sur le titre Doux, qu’ils vont clipper.

Moi j’ai grandi avec le rap, Lunatic, NTM, et je voulais que les gens captent que je viens de cette musique là

En 2011, il participe aux plateaux Can I kick it ? organisés par les membres de Triptik. Il y partage le micro avec L’Entourage, Joke, Eddie Hyde, Bon Gamin, Rimcash et Didaï, ou Dinos Punchlinovic. Une sorte de draft de la nouvelle scène émerge alors, parrainé par des anciens, comme Ärsenik ou Oxmo Puccino. Après quelques autres tapes avec des convives comme Xanax, autre rappeur de Svinkels, il prend déjà cette bonne habitude de réaliser des tapes saisonnières, tel un stakhanoviste du bon son. Il commence alors à structurer son label Palace Prod, ne trouvant pas son compte dans les propositions qu’on lui fait : « Moi les majors elles me proposent des trucs qui m’intéressent pas, et celles avec lesquelles j’ai envie de faire des trucs, elles veulent pas me signer, ils me trouvent trop chelou. On m’a proposé de sortir un EP, de voir ce qu’il se passe. Ça m’intéressait pas d’être la dernière roue du carrosse. Moi j’aimais pas ça, ce truc de voir ce qui se passe et on verra. Moi c’était soit tu crois en moi et on y va, ou soit je me gère ». Hyperactif, A2H diversifie actuellement les activités de Palace dans l’évènementiel, dans une marque de vêtements (la marque « Grenadine »), ou encore dans le projet d’une entreprise de restauration.

A2H sortira ensuite Bipolaire, en 2012, son premier album, avec une bonne part de vibes west coast, comme un avant-goût du projet commun qu’il sort avec Aelpéacha en 2013, le bien-nommé Studio Liqueur. Après une signature avec CLM, qui travaille en partenariat avec Believe, il se lance dans une première tournée solo, En clio, avec son pote Destin : « Avec un faible budget, c’était la solution de débrouille, pour pouvoir partir à cinq plutôt qu’à deux », pour une vingtaine de dates dont il parvient à remplir les salles. Un moment où il réalise qu’il est pleinement parti dans une carrière musicale.

Avec Art de vivre, son deuxième album en 2014, il va voir deux titres, Dans ma chambre et Elle ne veut pas, rentrer dans les playlists de France Inter et Radio Nova, ce qui lui fait toucher un public plus large. Peut-être aidé en cela par sa capacité à casser certains codes, n’hésitant pas à montrer une part de fragilité dans ses textes, distillant une douce mélancolie digne d’un Drake. Paradoxalement, malgré ces deux titres plutôt bien diffusés, l’album marchera moins bien qu’espéré.

Si la recette du succès commercial reste un mystère complexe, la période tragique que vit alors A2H ne va pas l’aider, puisqu’il doit faire face au décès d’Alassane Diallo, graphiste et directeur artistique de l’identité visuelle du projet. « Un album qu’on appelle la poisse », rigole A2H, comme par pudeur, songeant aux écarts qu’il peut y avoir entre la perception du public et les vraies raisons derrière le ralentissement d’une carrière : « La tournée elle s’est pas super bien passée, j’avais du mal à communiquer, j’étais pas du tout présent sur les réseaux sociaux ». Une année 2015 décidément terne pour beaucoup de monde, et qui finira par nourrir sa créativité : « J’ai passé 2015 enfermé, j’ai passé mon temps à réfléchir, j’étais pas dedans, et à un moment, j’ai eu un déclic, et je me suis dit que j’allais faire un album où j’allais cracher mes tripes, et j’ai écrit ‘Libre’ ». Un album en forme d’exutoire, dans lequel A2H montre l’étendue de sa palette musicale, entre morceaux plus atmosphériques ou plus organiques.

Je me suis dit que j’allais faire un album où j’allais cracher mes tripes, et j’ai écrit « Libre »

Il fait alors la connaissance de Kevin Amougou, le patron d’un label basé à Montréal, Note, avec qui il co-produit quelques contenus de l’album. Un album qui a un bon écho, avec quelques sons phares comme Une dernière fois, qui pète le million de vues. Trouvant une bonne vibe là-bas, il va décider d’y retourner pour enregistrer la tape Les hommes pleurent en hiver. Une tape entièrement réalisée en l’espace de trois semaines. Le modèle d’A2H, c’est Pharrell Williams, qui l’inspire pour sa dimension de super-producteur, « reconnu aussi bien pour les sons qu’il fait que pour son rap ».

Une autre casquette de producteur

En tant que beatmaker/compositeur, A2H travaille souvent avec Dtweezer, rattaché au label Panaemera, et avec sa propre structure Palace Prod, il réalise des packs de production, qu’il propose à différents éditeurs, des sons souvent livrés avec topline inclue, notamment pour des artistes r’n’b, afro et variété. Fidèle à son art du grand écart, A2H a cette année produit pour Flynt, travaillé auprès de Doc Gynéco, mais aussi pour Zaho.

Une incursion dans la variété qui lui donne une crédibilité dans ce domaine, l’ouvrant sur sa vibe r’n’b, qui devrait être bien présente dans ses futurs projets. D’ailleurs, à la maison, A2H écoute surtout du r’n’b, et ses préférences vont notamment vers TDE, Drake et bien sûr, Kanye West, influence majeure. Tout en ayant pour rappeur américain préféré André 3000 d’Outkast, et Orelsan parmi les français. Au détour d’une remarque sur son usage modéré de l’auto-tune, il cite comme références des projets tels que 808s and heartbreak de Kanye, ou encore Songs About Girls de Will.I.Am.

Engagé à sa manière

Dans ses derniers morceaux, il chantonne de plus en plus, dans une vibe digne d’OVO. Des sonorités langoureuses qui épousent bien les thématiques, qu’il aborde, tournant beaucoup autour des rapports homme-femme, mais aussi de qui il est. On semble a priori loin d’un rap politisé et militant

Il est vrai que ses textes ne ressemblent pas vraiment à du Assassin, et portent des sujets dans lesquels beaucoup de monde peut se retrouver. Alors, apolitique ce A2H, seulement focalisé sur les femmes, la fonsdé et ses combats du quotidien ? Pas vraiment, puisqu’il a une vision bien à lui, qu’il envoie par petites touches : « Moi je suis politisé. Je trouve que ma musique est politisée, mais j’essaie de pas être moralisateur. Pour moi, tout est politique, même rien que le fait de dire que je me défonce la gueule alors que c’est illégal, ou de dire que je suis mal dans ma vie parce que je me suis fait malmener par des femmes. Je mets aussi en avant le brassage social, le brassage culturel ».

Moi ma politique c’est d’être épicurien, hédoniste, t’as le droit d’être frivole

Si l’amour d’A2H pour les femmes apparaît clairement dans nombre de ses textes, il y voit aussi un positionnement politique, n’hésitant pas à se dire « très féministe » : « C’est pas parce que tu kiffes le sexe ou les belles femmes, la lingerie et ces conneries là, que tu peux pas être outré par les gens qui manquent de respect aux femmes. Moi j’ai toujours mis la femme en avant, c’est ma mère qui m’a élevé seul, et j’ai grandi avec mes tantes aussi, et c’est des femmes qui en ont chié. J’arrive à visualiser comment c’est difficile d’être une femme en 2017, mon positionnement politique il est là-dessus. Les gens vont dire : ‘Ouais A2H il parle de cul, mais je parle de cul comment ?’ Quand je fais un morceau comme ‘Les yeux dans les yeux’, je dis pas que je m’envoie v’là les putes. Je dis que moi j’aime quand je fais l’amour à ma femme, qu’on soit vraiment en osmose elle et moi, et que ce soit un partage. Et quand je dis que j’aime les femmes, de manière générale, c’est parce que je trouve que le fait d’être sexy, le fait d’être attirante, désirante, c’est péjoratif en France. N’importe quelle meuf que je connais, là d’où l’on vient, si une meuf elle veut se mettre un peu sexy l’été, elle va se faire chambrer c’est sûr. C’est relou d’être une meuf, c’est hardcore. Et aujourd’hui le pire truc, c’est d’être une femme pauvre, tu fais quoi en fait ? Tu passes ta vie à te justifier, à te manger des réflexions de partout, c’est hardcore. Et ça c’est un positionnement que je veux défendre. Moi ma politique c’est d’être épicurien, hédoniste, t’as le droit d’être frivole. »

Des good vibes mises à l’honneur

Autre discours qui reflète ses valeurs, le morceau On charbonne (sur la tape Les hommes pleurent en hiver), de nombreuses personnes l’ont remercié pour le surplus d’énergie que cette sorte d’hymne leur a donné, sur le chemin routinier du taf. Il est comme ça A2 : il a parfois le spleen en hiver, mais il sait y trouver des remèdes, et transmettre son énergie positive, un juice que n’aurait pas renié Christopher Wallace. S’inspirant du style grandiloquent de certains pasteurs, il a balancé sur Snapchat des « motivations speech », qui ont eu leur petit succès. Le faisant avec humour et légèreté, il a été surpris des remerciements reçus. Au point qu’il a été sollicité pour intervenir dans une formation pour éducateurs spécialisés, histoire d’apporter un peu de sel à leur bagage théorique, pour les « aider à être plus à l’aise avec les jeunes ».

On a tous un petit côté sombre, secret, et on l’aime bien quand même

A2H ne croit pas vraiment au génie, mais avant tout au travail, et à l’envie : « On naît avec des prédisposistions, mais à part ça y a pas de talent, c’est du taf. Je connais une meuf, elle a décidé de se mettre au piano à 40 piges, aujourd’hui elle joue avec les plus gros jazzeux de Paname, de Amsterdam. T’imagines le nombre de gens qui se disent ‘Oh c’est trop tard pour apprendre’, il est jamais trop tard. Ma mère aujourd’hui elle est conteuse. Toute sa vie elle a fait un taf aliénant, qui a été jusqu’à lui pourrir la santé, et arrivée à 40 ans, elle s’est mise dans quelque chose de plus artistique. Moi j’aime pas les ‘j’aurais dû’ ». Tout juste trentenaire, A2H semble épanoui, voyant sa structure Palace Prod’ avancer tout doucement : « Ca me fait plaisir de me mettre sur les projets de mes gars, là on fait le projet d’Ori, il part à Los Angeles, c’est cool. Jamais de la vie j’aurais cru qu’à 30 piges j’aurais un label, qu’il y en a qui partiraient à LA, d’autres à Montréal. C’est déjà une première victoire ».

Avant de tirer sa révérence, A2H nous confie le titre de son prochain album : il devrait s’appeler L’amour, et clin d’œil à un morceau de Sébastien Tellier nommé L’amour et la violence. Mais peu de risques d’entendre A2H tomber dans l’émotion préfabriquée : « C’est au sens large, l’amour que tu peux avoir pour ta musique, pour tes parents, pour ta meuf, pour ce que tu veux. La position c’est de parler d’attachement, même de l’amour de ce truc un peu auto-destructeur, de tous les vices qu’on peut avoir. Parce qu’on est amoureux un peu de nos vices, de notre verre en trop, de notre spliff en trop. On a tous un petit côté sombre, secret, et on l’aime bien quand même. C’est ce qui nous fait, on est ce truc malsain, on ne l’assume pas, mais s’il était pas là ce serait pas nous ». Si on peut compter sur A2H pour faire de l’amour un sujet inépuisable, c’est aussi que l’artiste semble mesurer sa complexité. De quoi certainement inspirer de nouvelles mélodies, toujours aussi variées.

Crédits photos : Antoine Ott

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